Critique de cinéma influent, premier de sa profession à se jeter dans l'interview du blog suprême, Philippe répond aux questions toujours pertinentes et aiguës de Maître Roger. Une discussion cultivée sur l'art cinématographique, ses critiques et son public.
#monanalyse
le 18 JUILLET 2023,
L'interview de Philippe Rouyer (@philippe_rouyer)
Bonjour Philippe, qui es-tu ? Où vas-tu ?
Pour aller vite, disons que je suis critique et historien de cinéma.
Je vais dans mon bureau répondre à ton questionnaire.
Ah oui, en effet, tu es allé vite. Et tu as quel genre de vue, depuis la fenêtre de ton bureau ?
Le jardin de la copropriété, en plongée.
Comment es-tu devenu critique de cinéma ? Hasard ou rêve d’enfant ?
Un rêve d’adolescent. À 12 ans et demi, au lendemain d’une séance de « 2001 l’odyssée de l’espace » qui m’avait emballé, j’ai annoncé à mes parents ébahis (mais très compréhensifs) que j’avais trouvé quel métier je souhaitais exercer : critique de cinéma. Pour faire partager mes enthousiasmes et aussi me donner les moyens d’approfondir ma réflexion sur les films. Car j’étais loin d’avoir tout compris au film de Kubrick et j’avais envie de me documenter sur le film et de le revoir pour aller plus loin que mes premières impressions.
Tu as compris quelque chose à 2001 ? Alors que tu étais ado ? 😳 Eh bé, j’avais bien compris que j’allais interviewer un homme bien plus cultivé que moi... mais là, à ce point...
Tu restes quand même avec moi pour répondre à mes microscopiques questions ?
Le roman homonyme qu’Arthur C. Clarke a tiré de son travail de coscénariste sur le film, que j’ai dévoré après ma séance, m’a bien aidé à fixer mes idées.
Mais « 2001 » c’est comme « Mulholland Drive » de David Lynch, si le film vous plaît vraiment, il suffit de suivre vos intuitions et vous comprendrez des choses.
Rien compris non plus… je ne dois pas être dans les bonnes intuitions, je ne vois pas d’autre explication.
C’est quoi un bon film ? Celui qui reçoit la meilleure critique ou celui qui fait le plus d’entrées ?
La réception critique comme les résultats au box-office sont des indications parmi d’autres. On pourrait y ajouter les prix récoltés en festival ou ailleurs.
Mais ça ne suffit pas. Certains films n’ont connu rien de tout cela à leur sortie et sont aujourd’hui considérés comme des chefs-d’œuvre absolus. Je pense, par exemple, à « La Nuit du chasseur » ou à « La Règle du jeu ».
On pourrait dire :
Un bon film c’est un film qui procure du plaisir à celui qui le voit.
Un grand film c’est un film qui survit à l’épreuve du temps.
Et comment se définit un bon critique de cinéma ?
Un bon critique de cinéma c’est une personne qui sait traduire dans des mots (écrits ou parlés) ce qu’elle a vécu lors de cette expérience non verbale qu’est la projection d’un film.
Ta définition me plonge dans un abîme de perplexité et de réflexions. Moi qui écoute « Le Masque et la Plume » chaque semaine (et pas « Le Cercle », désolé, mais je vais faire un test, promis), je ne m’étais jamais demandé quel était vraiment le métier des critiques.
Subséquemment, ta définition doit quelque part expliquer pourquoi je ne trouve bien que les films appréciés par certain•e•s critiques et pas d’autres. Non ?
Ben oui, nous autres critiques devons être des repères pour nos lecteurs / auditeurs qui apprennent à nous connaître et déterminer ainsi de quels critiques ils se sentent proches dans la sensibilité et les analyses.
Tu es président du @SFCCinema : quelles ont été tes motivations pour accepter cette noble mission ?
Je suis devenu Président du @SFCCCinema parce que je trouvais cette organisation utile à la profession et que je trouvais normal de lui donner de mon temps et de mon énergie en remerciement de ce qu’elle m’avait apporté ainsi qu’à d’autres.
C’est notamment pour cette raison que j’ai mis l’accent sur la reconnaissance des jeunes confrères, ceux qui débutent dans la profession et pour qui ce n’est pas toujours facile. Mais j’avais aussi envie de porter la défense de la critique de cinéma hors de ses murs, valoriser son image et défendre son rôle dans la vie du cinéma. C’est ainsi que j’ai poussé à développer tout ce qui est éducation à l’image à destination de tous les publics.
À ce propos, le public, on en parle un peu ou c’est tabou ? Prenons un exemple qui m’est cher : moi. J’ai vu cent fois « L’As des as » et jamais « Une chambre en ville ». Qu’est-ce qu’on peut faire d’un public pareil ?
Sans le public, il n’y a pas de cinéma. Les films existent grâce à ceux qui les font, mais aussi grâce à ceux qui les regardent (et aussi ceux qui les commentent).
La profession a été maladroite à l’époque de cette polémique. Pour défendre un film chéri qui n’avait pas de succès en salle, attaquer le gros film à succès en face n’était pas la bonne stratégie.
Parce qu’il n’y a aucune raison de vouloir culpabiliser ceux qui allaient voir et aimaient « L’As des as ». Il aurait mieux valu réfléchir sur comment donner envie d’aller voir le film de Jacques Demy. Évidemment c’est facile de dire cela avec le recul.
Quant à toi, maintenant que tu as vu cent fois « L’As des as », tu pourrais trouver le temps de regarder « Une chambre en ville ». Peut-être tu détesteras car le film est très clivant. Mais peut-être tu adoreras ce film musical et flamboyant qui ose tout. On peut aimer le cinéma de Gérard Oury et celui de Jacques Demy. Surtout il faut être curieux et ne pas avoir d’œillères.
J’étais plus curieux quand j’étais jeune (au XXe siècle), j’avoue que j’ai tendance à moins chercher des expériences nouvelles.
Mais qu’il en soit donc ainsi : je vais tenter de résister à la prochaine diffusion de Gérard Oury (de toute façon j’ai le DVD 😏) et lui substituer Jacques Demy.
J’espère que ce sacrifice me sera rendu au centuple, là-haut.
Et j’espère que cela te sera rendu déjà ici-bas.
Le cinéma de Demy peut être une grande source de plaisirs. Dans « Une chambre en ville », il y a des moments inoubliables : la folie de Michel Piccoli en marchand de télévisions, les déambulations de Dominique Sanda nue sous son manteau de fourrure, le franc-parler de Danièle Darrieux aristo déchue qui tourne au blanc, le lyrisme des scènes de manif…
Tu m’as convaincu. Surtout avec le manteau de fourrure.
Revenons à l’histoire de ta vie. Tu es venu sur le Twitter en septembre 2015 ; quelle était alors ta quête ? Et qu’y as-tu trouvé ?
Je suis venu sur Twitter avec l’idée d’investir un nouveau terrain de jeu pour faire partager mon amour du cinéma. Je suis donc arrivé avec un certain nombre de principes auxquels je me suis tenu : parler exclusivement du cinéma qui me plaît et parfois des autres arts, mais rien sur la vie privée.
Créer une sorte d’oasis de plaisir sur un réseau social souvient violent, en n’évoquant que ce que j’aime (ce n’est donc pas un site de critique de cinéma, j’ai pour cela mes tribunes de presse traditionnelles) : films récents ou anciens, connus ou non, qu’ils soient en salles, à la télévision ou en vidéo, mais aussi les festivals, les revues et livres de cinéma.
Et bien sûr faire part de mon actualité : émissions de radio et TV, conférences et animations de séances où l’on peut me retrouver.
Je profite de notre échange pour révéler un de mes petits secrets de fabrication lors de la préparation des interviews du blog suprême. Grâce aux impressionnantes fonctionnalités de recherche de Twitter, je cherche les tweets les plus populaires de mes invités, ladite popularité se mesurant par le nombre de FAV, RT…
Te concernant, tes tweets sont : « un dernier salut à Gaspard Ulliel », « Tristesse infinie (pour) Bertrand Tavernier », « Jean-Paul Belmondo que nous avons tant aimé », « Immense chagrin d’adresser un dernier salut à Jean-Pierre Bacri »... et aussi Agnès Varda, Michel Robin…
Qu’est-ce que tout cela nous dit de la place du cinéma sur les réseaux sociaux ?
Tu cites principalement des tweets en lien avec des nécros. S’ils ont autant d’écho, c’est que dans ces moments d’émotion, ma communauté est heureuse de se retrouver autour de la célébration d’une personnalité qui nous a beaucoup donné et qui va nous manquer. C’est une sorte d’exercice de gratitude pour reprendre l’expression de Bertrand Tavernier qui était un maître en la matière.
Alors je n’y suis pour rien si tes tweets les plus populaires sont ceux en lien avec lesdites nécros 🤷🏻♂️
Que mes tweets les plus populaires soient liés à des nécros ne me déplaît pas. Il relève de mon côté mémoire du cinéma qui renvoie à une facette de mon activité professionnelle à laquelle je suis très attaché : la défense du cinéma de patrimoine.
Ah oui, c’est important le patrimoine, on est bien d’accord.
C’est @philippecarini qui a recommandé que tu sois interviewé dans le blog suprême après lui ; quels ont été tes sentiments quand tu as appris cette merveilleuse nouvelle ?
De la joie.
Je comprends et fais mienne ta joie #monanalyse
À ton tour, qui recommandes-tu pour une prochaine interview dans le blog suprême ?
François Angelier, @frangeliers, le maître des « Mauvais Genres » cette fabuleuse émission qu’il produit et anime depuis plus de vingt-cinq sur France-Culture et à laquelle j’ai le plaisir de participer.
Il en sera ainsi, l’heureux nommé sera invité à me contacter pour connaître la procédure et mes délais de procrastination. Et je peux compter sur ton soutien pour vanter les mérites de l’expérience d’une interview dans le blog suprême, n’est-ce pas ?
Cela coule de source.
Heureuse source.
Depuis que tu connais Maître Roger, comment ta vie a-t-elle changé ?
J’ai remarqué qu’il faisait très beau et très chaud tous les jours. Et même la nuit.
Je salue l’acuité de ta remarque.
Tu n’ignores sans doute pas que la vie des interviewé(e)s du blog suprême a profondément changé dès le jour de la publication de leur interview. Les femmes seront nues dans la rue et se jetteront sur toi. Comment te prépares-tu à cette nouvelle vie ?
Je travaille mon body summer.
C’est de saison. Un peu tard mais de saison.
Où souhaites-tu dîner avec Maître Roger quand tu seras une star et que les femmes nues se jetteront sur toi ?
Dans un établissement qu’il apprécie. Et s’il me fait découvrir ainsi une nouvelle bonne adresse, ce sera encore plus chouette.
Sushis à Niort, terrasse en lisière de forêt dans la Lande girondines, pizza à Créteil : nous avons désormais l’embarras du choix !
J’ai toujours rêvé d’un tour de France de la gastronomie.
Je fais mien ton rêve.
Hormis les questions inspirantes de Maître Roger, qu’as-tu lu de particulièrement marquant ces derniers jours ?
Le numéro double d’été de ma chère revue « Positif ».
Quelle musique as-tu écoutée pour répondre à cette interview ?
Aucune. Je voulais rester concentré.
Quelle image au format paysage choisis-tu pour illustrer ton interview et pourquoi ce choix ?
La foule nombreuse venue assister à l’avant-première du film de Christopher Nolan au Grand Rex. Ça fait plaisir de revoir un public nombreux qui se presse pour voir un film au cinéma.
Cela me permet au passage de recommander « Oppenheimer » grande fresque sensorielle qui m’a emballé. Nolan a tenu à tourner en pellicule, au format IMAX 70 mm. Je recommande à tous de le découvrir dans la meilleure salle possible pour mieux savourer le travail extraordinaire sur l’image et le son et profiter au mieux de l’effet d’immersion voulu par le cinéaste.
Et l’avenir des salles de cinéma, dans tout ça ?
Je suis très optimiste. Le secteur très organisé a survécu à la crise du Covid. Aucune salle de cinéma n’a fermé en France (à la différence d’autres pays) et, après une réouverture difficile et chaotique, le public revient en salles comme avant ou presque.
Même si on a chez soi, un grand choix de films et de bonnes conditions de projection, l’expérience de la salle est irremplaçable.
C'était l'interview de Philippe Rouyer (@philippe_rouyer)
avant...
après...
6,22 € achetez chez Amazon
www.radiofrance.fr